Figures de proue

Figures de proue.

L'Abbé Pierre : Contribution à l'oecuménisme

Du livre « Mon Dieu ?Pourquoi ? » Plon, 2005.
Extraits choisis par Paul Spies

Chrétiens, Musulmans, Orthodoxes.
Les Croisades : Derrière le prétexte de vouloir libérer les lieux saints (?) s'est mise en place une gigantesque entreprise de domination, de pillages, de massacres atroces. Cela a atteint non seulement les populations arabo-musulmanes, mais aussi les Grecs orthodoxes avec le sac épouvantable de Byzance. Il reste de cette période qui s'est étendue sur environ 2 siècles, des traces très profondes chez les musulmans et aussi chez les orthodoxes. p. 100
Fallait-il répondre à la terrible provocation des terroristes d'Al Quaida par une nouvelle croisade ? Guérit-on le mal par le mal ? Je crains que cela n'entraîne le monde dans une nouvelle guerre entre la civilisation chrétienne et la civilisation musulmane. p. 101

Révélation pour TOUS.
Il y a une révélation visible, explicite, celle de la Bible et de Jésus-Christ. Et une autre révélation, invisible et plus mystérieuse, qui n'est pas écrite, qui n'a pas de prophète, mais qui touche le coeur de tous les hommes pour les inspirer à faire des actes d'amour envers leur prochain. p. 97

L'enfer existe-t-il ?
Contrairement à ce que croient beaucoup de chrétiens, aucun concile n'a jamais affirmé l'existence de l'enfer et, ce qui revient au même, qu'il y ait un seul damné dedans.
Plus je médite sur le mystère de Dieu Amour, plus je suis persuadé qu'un être humain, plongé dans la pleine vision de Dieu puisse librement Le rejeter. p.95

Revenir au christianisme des premiers siècles
Il faut libérer l'Eglise de la tutelle romaine sur toutes les Eglises locales, de son centralisme politique et juridique, c'est une des conditions pour que l'Eglise redevienne pleinement évangélique et pour la réconciliation de tous les chrétiens dans l'unité. p.80

L'Eucharistie, coeur des communautés chrétiennes.
Il y a chez les chrétiens plusieurs manières de concevoir l'Eucharistie.
Pour les catholiques, il s'agit du Christ réellement et mystérieusement présent. (Transsubstantiation) A l'autre extrémité, la plupart des protestants considèrent l'Eucharistie comme un symbole.
Personnellement, et comme un certain nombre de catholiques et de protestants, je me situe dans une voie médiane. Je ne me préoccupe pas de la transsubstantiation, mais uniquement de la PRESENCE. L'Eglise n'a peut-être de sens que parce qu'elle maintient la présence eucharistique. C'est sa mission fondamentale. Des petites communautés chrétiennes isolées et cachées ont tenu pendant des siècles dans certains pays d'Asie grâce à la présence eucharistique. p. 76-77

Le christianisme : rencontre de personne à personne.
Le Christ est comme dans la brume du matin de Pâques face à Marie de Magdala ou sur le chemin d'Emmaüs. Ses plus proches disciples et amis ne le reconnaissent pas tant ils sont absorbés par leurs soucis et leur tristesse. Puis, à un moment, il prononce une parole « Marie », il fait un geste ? rompre le pain -, et nos yeux le reconnaissent. p. 72

Benoît XVI
Ses premières paroles de pape ont été dans le sens du dialogue et de l'ouverture avec les autres confessions chrétiennes (protestants, anglicans, orthodoxes) et les autres religions. p. 34

Le péché originel.
Comment tairais-je le rêve que j'ai fait presque depuis l'enfance : substituer aux mots inadaptés et inconvenants « péché originel » les mots plus vrais : « blessure héréditaire » ? p. 61

La place de Marie
L'Immaculée Conception, promulguée en 1854, déclare que Marie ne porte pas les traces du péché originel. Pourquoi Marie, qui est pleinement humaine, aurait eu ce privilège d'y échapper et en quoi cela aurait été nécessaire au mystère de l'Incarnation ? N'en va-t-il pas de même pour le dogme de l'assomption de Marie, promulgué en 1950 ? Selon ce dogme, le corps de Marie n'aurait pas connu la corruption mais aurait été transfiguré. N'est-ce pas encore une manière d'enlever à Marie sa pleine humanité ? D'en faire une quasi-divinité incorruptible ?
J'ai une immense tendresse pour Marie, la mère de Jésus. Je récite tous les jours ses paroles du Magnificat.
Mais je ne peux concevoir qu'on voue à Marie un véritable culte, lequel finit chez certains par prendre plus de place que l'adoration envers le Créateur. Cela devient alors de l'idolâtrie. Marie prendrait-elle la place des déesses de l'Antiquité contre lesquelles le christianisme primitif a lutté pour apporter au monde entier la révélation de Dieu Un et Indivisible, à qui seul il est légitime de vouer un culte ? p. 54-55

Prêtres mariés ou célibataires.
Jésus a choisi des apôtres mariés, comme Pierre, et des apôtres célibataires qui le sont sans doute restés, comme Jean. p. 28
Benoît XVI pourrait permettre d'ordonner prêtres des « anciens », des hommes mariés qui ont déjà élevé leurs enfants, les fameux « presbytes » dont parle Saint Paul. p. 35

Et des femmes prêtres ?
Cela me paraît seulement un problème d'évolution des mentalités. Il est très probable, et pour moi souhaitable, que l'Eglise évolue sur ce point dans les décennies à venir. p. 45


Le testament d'André Chouraqui

Un livre aux dimensions universelles !
Mon testament.
Ed. Bayard, Paris, 2001
d'André Chouraqui, écrivain juif de grande envergure.

Après avoir été conseillé de Ben Gourion, André Chouraki fut élu, en 1965, aux fonctions de Maire-adjoint de Jérusalem.
Son oeuvre littéraire immense est dominée par la traduction et les commentaires de la Bible hébraïque dont il offre une traduction littérale et donc très proche du texte original.
Il entreprit ensuite la traduction des textes grecs du Nouveau Testament (Desclée De Brouwer, 1985) replacés dans leur contexte culturel araméen et hébreu. Certains fondamentalistes juifs le suspectaient alors de pactiser avec la religion chrétienne.
Il ne s'arrêta pas là et réalisa une traduction très fidèle du Coran (Ed, Laffont 1990). L'arabe du 6e siècle étant beaucoup plus proche de l'hébreu lui fut précieux pour rendre la poésie du texte. Selon Chouraki, les premières traductions du Coran furent déformées par des non-musulmans dans un esprit de dénigrement. Pour lui, le Coran appelle tous les hommes à la pacification, à l'islam mot dont la racine sémitique slm connote la paix, salâm. Il plaide pour que les traducteurs modernes fassent un effort pour mettre fin à la guerre des cultures et des idéologies. « Il faut faire des traductions des livres saints de vrais ponts entre les peuples et les cultures. »
C'est la première fois qu'une même personne ramène en leur source les livres fondateurs des trois monothéismes. Il fut un artisan infatigable de l'oecuménisme.
Voici quelques extraits de ce livre : 

Sortir de nos cloisonnements.

« Les grands déséquilibres que nous constatons à tous les niveaux, dans toutes les religions, dans toutes les cultures, viennent de ce que nous sommes dans une époque de mutation. (?) Cela pose des questions nouvelles auxquelles il nous faut répondre. Nous devons sortir de nos cloisonnements : un monde ouvert requiert des réponses ouvertes. » p. 27 

Casser les murs de nos enfermements.

« Parvenir à une réconciliation universelle oblige les religions à sortir des ghettos où elles se sont enfermées. Cet enfermement est une réalité fondatrice de toute religion. Quand bien même l'une ou l'autre prétendait à l'universalité de sa vocation, elle enfermait les autres dans le « ghetto » des parjures, des insoumis, des infidèles, des hérétiques. Chacune forgeait les moyens de sa puissance ou de sa survie, en érigeant les murailles de son propre enfermement. Chacune, dans son coin, se croyait protégée, libérée, sans comprendre que les murs qu'elle bâtissait tout autour d'elle entravaient l'universalité de sa vocation. Les religions, sociologiquement préservées par leur enfermement, ont entretenu l'ignorance les unes des autres.
Aujourd'hui, cet enfermement n'a plus lieu d'être. Il n'est ni possible, ni souhaitable, de continuer à cultiver nos multiples méconnaissances. » p. 54 

Procès à Jérusalem.

La grande fresque théâtrale qu'il écrivit sous ce titre en 1980 se termine par ces mots :
« Juifs, chrétiens, musulmans, hommes de tous les pays et de toutes les cultures, réunissez-vous auprès de vos sources : entendez, entendez le message de paix et d'amour qui constituent l'essence des appels lancés de Jérusalem par vos prophètes et vos apôtres. Devenez en Vérité des sauveurs d'un monde qui court à sa perte. Déclouez l'homme de toutes les croix du monde. Afin que la vie triomphe de toutes les morts, la paix de toutes les guerres, l'amour de toutes les haines. » p. 59 

Le conflit Israëlo-palestinien.

« Nous devons puiser en nous-mêmes le courage de nous extirper de ce cercle vicieux de la haine et de la peur et réaliser qu'aujourd'hui encore, c'est bel et bien le conflit qui fait conflit. (?) Les Soeurs de Bethléem enseignent ouvertement ce même message au centre du grand couvent qu'elles ont construit à Beit-Jamal, près de Jérusalem. Dans ce couvent, une salle d'oraison expose pour unique symbole sensible une Tora, un Nouveau Testament et un Coran. Innombrables sont ceux qui adhèrent à cet idéal de réconciliation universelle.  » p 147

Le langage de l'unité

« La principale difficulté pour l'avenir de l'humanité est de trouver la langue de l'unité. Nous sommes tellement prisonniers de nos langues et de nos théologies qu'il nous faudra du temps pour redécouvrir le « sens des mots. »(?) Les réalités sont voilées, piégées, par des mots dont la signification a été travestie par ce que l'homme a pu projeter en eux de ses erreurs. »

André Chouraki appartient à cette catégorie d'écrivains dont le rayonnement est universel. Plus de dix ans après la parution de ce livre, des extrémismes se sont durcis sur bien des conflits dans le monde, mais des artisans de paix sont à l'oeuvre et leurs espérances restent les mêmes.

Paul Spies

Martin Luther King et l'oecuménisme

Le 28 août 1963, gigantesque manifestation organisée devant le Lincoln Memorial de Washington pour célébrer le centenaire de l'abolition de l'esclavage.
Martin Luther King prononce son inoubliable discours « I have a dream? »
?Je rêve qu'un jour, sur les collines rousses de Géorgie, les fils des anciens esclaves et les fils des anciens maîtres d'esclaves pourront s'asseoir ensemble à la table de la fraternité? »
Alors, main dans la main et se balançant d'avant en arrière, la foule s'écriait : « Continue de rêver ! »
« Je rêve qu'un jour, mes quatre enfants vivront dans une nation où ils ne seront pas jugés sur la couleur de leur peau, mais sur la valeur de leur caractère? »
« Continue de rêver ! »
« Je rêve qu'un jour toute vallée sera élevée, toute colline et toute montagne abaissée. Les endroits raboteux seront aplanis et les chemins tortueux redressés. Et la gloire du Seigneur sera révélée et tout être de chair la verra. C'est notre espérance.
Puis Joan Baez se mit à chanter : We shall overcom


Poème du Syrien Nizar Kabbani

(1923-1998)

Ne vous en déplaise,
J'entends éduquer mes enfants à ma manière; sans égard pour vos lubies ou vos états d'âme...

Ne vous en déplaise
J'apprendrai à mes enfants que la religion appartient à Dieu et non aux théologiens, aux Cheikhs ou aux êtres humains.

Ne vous en déplaise
J'apprendrai à ma petite que la religion c'est l'éthique, l'éducation et le respect d'autrui, la courtoisie, la responsabilité et la sincérité, avant de lui dire de quel pied rentrer aux toilettes ou avec quelle main manger.

Sauf votre respect,
J'apprendrai à ma fille que Dieu est amour, qu'elle peut s'adresser à lui sans intermédiaire, le questionner à satiété, lui demander ce qu'elle souhaite, loin de toute directive ou contrainte.

Sauf votre respect,
Je ne parlerai pas du châtiment de la tombe à mes enfants qui ne savent pas encore ce qu'est la mort.

Sauf votre respect,
J'enseignerai à ma fille les fondements de la religion, sa morale, son éthique et ses règles de bonne conduite avant de lui imposer un quelconque voile.

Ne vous en déplaise,
J'enseignerai à mon jeune fils que faire du mal à autrui ou le mépriser pour sa nationalité, sa couleur de peau ou sa religion est un grand pêché honni de Dieu.

Ne vous en déplaise,
Je dirai à ma fille que réviser ses leçons et s'investir dans son éducation est plus utile et plus important aux yeux d'Allah que d'apprendre par coeur des versets du Coran sans en comprendre le sens.

Ne vous en déplaise,
j'apprendrai à mon fils que prendre le prophète comme modèle commence par adopter son sens de l'honnêteté, de la droiture et de l'équité, avant d'imiter la coupe de sa barbe ou la taille de ses vêtements.

Sauf votre respect,
je rassurerai ma fille que son amie chrétienne n'est pas une mécréante, et qu'elle cesse de pleurer de crainte que celle-ci n'aille en enfer.
Sauf votre respect, je dirai qu'Allah a interdit de tuer un être humain, et que celui qui tue injustement une personne, par son acte, tue l'humanité toute entière.

Sauf votre respect,
J'apprendrai à mes enfants qu'Allah est plus grand, plus juste et plus miséricordieux que tous les théologiens de la terre réunis, que ses critères de jugement différent de ceux des marchands de la foi, que ses verdicts sont autrement plus cléments et miséricordieux.

Sauf votre respect...

Nizar Kabbani


Mohammed El Bachiri: Appel bouleversant d'un musulman à la réconciliation.

Il publie le livre: "Un jihad de l'amour" après avoir perdu son épouse dans les attentats de Bruxelles.

"Lorsque je croise une personne d'une autre croyance qui se laisse porter par l'amour, j'ai le sentiment que nous professons la même religion. Cela rejoint un peu ce poème que j'ai lu il y a longtemps. C'était un poème de l'imam Al-Ghazali, je crois, ce grand mystique dans l'histoire de l'islam:
"Va au bout de ta religion, tu rencontreras celle des autres." p. 83