Balade des messes du temps jadis

La Balade des messes du temps jadis.

 


©Deligne pour Panorama

On nous parle parfois de ce qui n'existait pas dans notre jeunesse et est actuellement devenu courant. Je compte faire la démarche inverse relevant ce que nous avons connu autrefois et qui a maintenant disparu, comme le poète François Villon le fit pour les dames illustres de l'histoire.

Mon sujet sera moins frivole, je me limiterai, car la question est vaste, à un domaine dont nous sommes, en tant que chorale paroissiale, familiers, celui de la liturgie.

C'est sur le plan vestimentaire qu'on note les premiers changements. Alors que l'officiant était déjà vêtu de pied en cap d'une longue soutane fermée sur le devant par des dizaines de petits boutons, et sous laquelle il portait encore évidemment d'autres vêtements, il endossait en plus un harnachement impressionnant : il portait déjà une aube ceinturée par un cordon – ventral et non ombilical – ainsi qu'une chasuble, : la barrette, couvre-chef ressemblant à un bol renversé, surmonté de 3 ou 4 crêtes et parfois d'un pompon noir ou rouge, selon les grades, que le célébrant enlevait au pied de l'autel et confiait au servant, lequel le déposait sur une marche et devait prendre garde à ne pas marcher dessus par inadvertance.

Il y avait aussi la lingerie d'autel et la vaisselle, si on peut dire : le célébrant arrivait de la sacristie avec aux mains un curieux colis renfermant tous les ustensiles nécessaires : le calice, surmonté de la patène, disque de métal, où reposait l'hostie encore non consacrée, la bourse, sorte d'étui carré en carton renfermant un linge, le corporal, le tout étant recouvert du voile du calice, pièce de tissu brodé, assortie elle aussi aux autres ornements. L'ensemble formait une sorte de petite pyramide tronquée à quatre pans que le prêtre portait sur l'autel et qu'il démontait au fur et à mesure. Tout cela s'est simplifié et est apporté par le servant alors que, jadis, ces objets ne pouvaient être maniés que par le prêtre : il était impératif de les protéger du contact de mains profanes ; même le servant n'était pas autorisé à les toucher, sous peine … en fait, on ne savait pas très bien de quoi ! Etait-ce un péché mortel, un véniel, un sacrilège ? On n'en savait trop rien, mais personne ne s'y risquait.

Les messes se divisaient en deux catégories : les messes basses et les grand-messes. Dans une messe basse, il n'y avait ni chants ni musique. Mais l'intérêt principal résidait dans l'absence de sermon – car on parlait alors de sermon et non d'homélie – la durée de l'opération en était sensiblement réduite. Les enfants de chœur ou acolytes qui servaient la messe avaient tôt fait de repérer parmi les ecclésiastiques les coursiers les plus rapides. Certains champions expédiaient leur affaire en quinze ou vingt minutes. Ils récitaient déjà les premières prières en s'habillant et le servant devait être assez bien éveillé pour enchaîner les réponses sans hésitation ni bafouillage.

Evidemment, toutes ces prières étaient en latin. Tout l'office se déroulait dans cette langue, mais de toute façon, cela n'avait pas beaucoup d'importance, car le prêtre tournant le dos au public, on n'entendait pas ce qu'il marmonnait, excepté lorsque, de temps à autre, il faisait volte face et proclamait « Dominus vobiscum », ce à quoi le servant répondait « Et cum spiritu tuo ».

Il se produisait un va-et-vient continuel pendant la première partie : le célébrant allait à l'extrémité de l'autel pour y lire l'épître, puis il changeait de côté pour l'évangile. Mais entre-temps un acolyte transportait le gros missel avec son support, et ce n'était pas une mince affaire pour certains d'entre eux, à peine assez grands pour atteindre la hauteur de la table.

La partie centrale de l'office n'a guère changé. Mais il en va autrement de la communion. La distribution avait lieu au banc de communion, qui a presque partout disparu ; c'était une sorte de balustrade devant laquelle on s'agenouillait et qui était recouverte d'une bande de toile formant nappe. Recevoir le pain consacré dans ses mains était inconcevable : il fallait l'accueillir sur la langue rosâtre, blanchâtre ou jaunâtre, qu'on exhibait au moment de la communion ce qui permettait au célébrant d'évaluer d'un coup d'œil, sinon l'état de grâce de chaque fidèle, du moins celui de son système digestif. Reste à savoir l'effet que cela faisait sur le sien. Mais une maladresse ou un accident était vite arrivé : l'hostie pouvait manquer sa cible visqueuse. C'est pourquoi, il fallait avec les mains glissées sous la toile, aménager une petite plate forme de tissu destinée, le cas échéant, à intercepter l'hostie. Et si, par malheur, malgré toutes ces précautions, elle s'égarait ailleurs, c'était tout un drame !

Les égards prescrits vis-à-vis de l'eucharistie comportaient un autre aspect : l'obligation d'être parfaitement à jeun pour communier, ce qui posait d'angoissants problèmes aux âmes scrupuleuses qui n'osaient même pas se laver les dents avant la messe de peur d'avaler une goutte d'eau, une virgule de dentifrice ou un poil de brosse, ce qui, disait-on, aurait rompu le jeûne !

Mais il y avait en outre les grand-messes le dimanche et les grandes fêtes : la liturgie déployait alors toutes ses pompes. Autour des trois officiants : le célébrant en chasuble, le diacre et le sous-diacre en dalmatique – en ce temps-là, les curés fourmillaient – évoluait une cohorte d'enfants de chœur, en soutanelle rouge et surplis blanc ; dirigés par un cérémoniaire muni d'un claquoir avec lequel il réglait le mouvement de ses troupes. Chacun avait sa charge : les thuriféraires étaient responsables de l'encensoir fumant et de la navette, sorte de petite saucière contenant l'encens ; d'autres portaient des chandeliers ; d'autres encore apportaient la burette d'eau, le plateau et le manuterge, ou essuie-main, lorsque le prêtre se mouillait le bout des doigts.

Ils revenaient à l'offertoire avec les deux burettes, dont celle de vin à laquelle ils avaient parfois soustrait sournoisement une petite lampée à la sacristie. Il fallait aussi un sonneur pour agiter les clochettes au sanctus et à l'élévation. Les plus jeunes se plaçaient de part et d'autre de l'autel avant la consécration avec des lampes plantées au bout d'un manche.

Il va de soi que tous ces acolytes devaient être de sexe masculin. Les personnes de l'autre sexe étaient, pour une raison mystérieuse, jugées indignes d'approcher de l'autel, alors que dans l'assemblée, elles étaient nettement majoritaires. Et, de plus, en dehors des offices, quand il s'agissait de nettoyer, récurer, recoudre les vêtements ou fleurir l'église, leur présence ne paraissait présenter aucun inconvénient.

L'orgue rugissait à pleins tuyaux, accompagnant les chants, presque tous en latin, dont certains étaient réservés au clergé et d'autres non à une chorale, mais plutôt à des chantres professionnels qui poussaient leurs barrissements du haut d'un jubé, sorte de balcon surplombant le fond de l'église.

L'office était beaucoup plus long, d'autant plus qu'il était généralement agrémenté d'un sermon, où l'orateur avec de grands élans d'éloquence, exhortait le peuple à la vertu ou menaçait des feux de l'enfer ceux qui se montraient rétifs, et qui d'ailleurs, précisément pour cette raison, n'étaient pas là.

La communion ne durait pas longtemps, car la grand-messe se situait souvent assez tard dans la matinée. Beaucoup de gens avaient déjà pris leur petit déjeuner et renoncé à s'approcher de ce qu'on dénommait la Sainte Table.

L'office se terminait dans un grand fracas d'orgue et de cloches : les enfants de chœur, sous la houlette du cérémoniaire, sortaient les premiers par rang d'âge et de dignité, puis le clergé qui avait de nouveau coiffé ses barrettes, regagnait la sacristie tandis que les fidèles de leur côté se précipitaient vers la sortie.

Toutefois, la journée liturgique n'était pas toujours clôturée : l'après-midi avaient lieu les vêpres, longue et mortelle psalmodie où les enfants des écoles étaient souvent obligés de figurer, et parfois un « Salut » dont le moment principal était la présentation, par le célébrant revêtu d'une lourde chape, d'un ostensoir rutilant d'or et de pierreries et contenant en son centre l'hostie dans un réceptacle vitré.

Tout cela s'est effacé et bien d'autres choses encore : le rosaire, les neuvaines, les litanies, les quatre-temps, les vigiles, l'abstinence du vendredi, les confessionnaux, les processions et j'en passe.

Loin de moi l'intention de céder à la nostalgie ou de tirer à boulets rouges sur les innovations dues au concile. Ce qui est fait est fait. Rien ne sert de se lamenter sur un passé évanoui.

Mais tout de même, cet évanouissement surprend : comment se fait-il que des rites, des prescriptions, des interdits, des usages qui paraissaient inébranlables se soient dissipés aussi vite et complètement que la fumée des encensoirs ? Les évoquer devant nos petits enfants leur fait ouvrir des yeux ronds et leur donne l'impression d'être de retour au Moyen Age.

Ainsi va toute chose humaine, feuille morte emportée par le vent de l'histoire.

N'oublions pas cependant que le vent emporte aussi des semences…

Emile COUNET